Etude de cas : Dailymotion

Dailymotion. Vers où, vers quoi ?

Pionnier de la vidéo contributive sur internet, Dailymotion cherche un modèle performant. Comment la plateforme de partage de vidéos peut-elle exister à côté de l’ogre Youtube ?

 

Dailymotion est dans la même situation que les moteurs de recherches qui veulent exister à côté de Google. Le problème est identique : comment faire la même chose et être différent ? Comment faire le deuil de ce que l’on a inventé et renaître en concurrent profitable ?

L’avantage de Dailymotion par rapport aux moteurs de recherches, c’est d’être dans la vidéo. L’hégémonie de Youtube semble inattaquable, sa popularité est immense, le service qu’il offre est excellent. De plus Youtube et Google sont frères. Dailymotion est un peu dans la situation d’une chaîne Youtube qui recherche un modèle, une popularité, une visibilité, notamment via Google. On n’oserait pas faire un sondage sur ce qui différencie Youtube et Dailymotion. Dans les faits, Youtube et Dailymotion ne sont pas concurrents, bien qu’il fasse le même métier. C’est ce qu’a rappelé Vincent Bolloré lors de la dernière AG de Vivendi, en résumant la situation ainsi : Youtube vaut 100 milliards, Dailymotion vaut 500 millions.

Il faut donc cesser de les comparer. Ce n’est pas la même dimension, pas la même viralité, pas la même audience.

Qu’est-ce que Dailymotion ?

La dernière stratégie officielle date de la refonte de la plateforme en 2017 : Dailymotion cible prioritairement un public de 25 à 49 ans en lui proposant du contenu prémium. Ce positionnement prémium apparait pertinent pour se différencier de Youtube. On peut penser que ce message s’adressait davantage aux annonceurs qu’à la cible elle-même. Mais sans public, difficile de vendre des annonces. Donc, qu’est-ce que du contenu prémium selon Dailymotion ? Il s’agissait de débarrasser la plateforme des contenus problématiques et de développer des partenariats avec des sources officielles de contenu tel Universal Music ou Disney.

Cette stratégie s’envisage bien évidemment à long terme. Il est trop tôt pour pouvoir juger de sa pertinence. En revanche, à court terme les pertes financières ne ralentissent pas. La stratégie doit fonctionner, sans quoi la plateforme risque de disparaître si elle n’apporte pas l’espoir d’une rentabilité.

Au delà de la réplication d’images crées pour d’autres supports, le succès de certaines chaînes Youtube, qu’elles concernent le divertissement ou la connaissance, est une révolution en soi. De nouveaux acteurs, de nouvelles idées, de nouveaux sujets, de nouvelles formes. On peut sans trop risquer de se tromper, estimer que nous ne sommes qu’au début de cette nouvelle donne. La réussite de Dailymotion est donc un projet crédible et fortement souhaitable.

Stratégie

Définir une cible est une chose. Constater que son public correspond à cette cible en est une autre.

Comment s’y prennent les radios ou les chaînes de télévision pour atteindre un public cible ? Ils installent des programmes dont ils supposent qu’ils correspondent aux attentes de ce public. Il s’agit d’une éditorialisation très précise. Pour Dailymotion, la difficulté est de rendre suffisamment visible son éditorialisation spécifique pour atteindre son public cible. Quel vlogger célèbre ou quel programme prémium issu de Dailymotion chacun pourrait-il citer ? Laissons du temps au temps. Un peu.

Comment les radios ou les chaînes de télévision gagnent-elles de l’argent ? Essentiellement en étant performantes sur une tranche de public précise. C’est donc la capacité à garantir un public cible qui permet un bon niveau rémunération par la publicité. La qualité fait le prix. Chez Youtube, ils doivent certainement s’intéresser à la qualité, mais ils ont tellement de quantité que le jeu n’en vaut pas forcément la chandelle. Le segment de la qualité est donc un positionnement pertinent pour Dailymotion. Reste la difficulté de fournir une cible précise et stable aux annonceurs, donc d’améliorer la rémunération.

Chacun sait que TF1 et Arte sont des chaînes très différentes. Tout comme Paris-Match et Marianne sont des magazines différents, que le public identifie facilement. C’est une question de forme, de fond, mais surtout d’état d’esprit. Ici du divertissement, là de l’info ou du patrimoine. Ces identités fortes sont le résultat d’un investissement de long terme et surtout le fruit d’un concept de départ suffisamment fort. Il faut donc de la stabilité dans la ligne éditoriale. Il faut avant tout définir une ligne éditoriale forte et identifiable.

Inventer un modèle

Pour en venir au fait, il nous semble que Dailymotion devrait davantage s’inspirer de Netflix plutôt que de Youtube. C’est à dire devenir une sorte d’OTT collaboratif gratuit.

Il s’agit donc, comme Netflix, de proposer des programmes originaux et exclusifs, estampillés Dailymotion. Des programmes qui correspondent au public visé. Des programmes qui sont des supports très forts de communication. Des programmes qui définissent la ligne éditoriale. Il semble moins hypothétique d’insuffler une ligne éditoriale forte en créant des programmes locomotives que d’espérer la venue de vlogger à succès idéaux. Si le public vient, les bloggers à succès viendront. La comparaison avec Netflix s’arrête évidemment dès que l’on aborde le type de programmes et surtout leurs budgets. Néanmoins une telle stratégie nécessite un investissement de départ suffisamment important, mais qui ressemble en fait à l’investissement que fait n’importe quel Youtuber avant de rencontrer le succès. On fabrique, ça coûte un peu, ça prend du temps, il faut réfléchir et le rendement ne vient que bien plus tard.

Il y a donc une filière spécifique à mettre en place. Une économie de production et de soutient à définir. Une communauté de contributeurs à créer et à faire vivre. Pour faire simple, il s’agirait d’inventer un projet collectif identifiable, dont l’état d’esprit est la valeur principale.

Concrètement, en créant de toutes pièces quelques programmes originaux forts, il s’agit d’attirer l’attention des médias et du public sur un nouveau projet innovant et porteur. Ce qui doit apparaître, c’est un nouveau positionnement, basé sur la qualité des contenus, la qualité de service que représentent ces contenus, dans le but de fédérer conjointement une communauté de contributeurs qu’il faut soutenir et un public qu’il faut satisfaire. Le partage des connaissances a trouvé son vecteur idéal avec la vidéo sur internet, il manque un acteur majeur pour promouvoir la qualité dans cette voie et drainer un public fidèle et prescripteur. Pour faire le lien avec la notion de Média de Référence qui nous est chère, Dailymotion pourrait être un producteur / promoteur / diffuseur de Médias de Références.

En produisant des programmes originaux et exclusifs, on ouvre un champs de créativité qui favorise la recherche de formes inédites à même d’offrir une sécurité d’investissement aux annonceurs et aux partenaires.

Ce positionnement spécifique vise à créer une audience, un public, que les contributeurs peuvent s’approprier. Comme les annonceurs, les contributeurs peuvent compter sur une identité forte qu’ils mettent à profit plus précisément, la viralité étant pour l’instant le domaine exclusif de Youtube. En imaginant une conquête du public par le biais de la qualité, on s’aperçoit que le champs d’invention est loin être épuisé, il ferait presque peur tellement il est vaste et reste sous-exploité, y compris par les médias historiques.

L’alliance d’un cadre éditorial fort et de contributions volontaires, est un modèle peut exploité par les médias de masse. Il impose de trouver un équilibre économique entre l’investissement direct, le soutient aux contributeurs investis et la valorisation d’une audience identifiée et garantie. Il y a là un entre deux, entre TF1 et Youtube, qui pourrait exister, qui devrait exister, voire qu’il est urgent de faire exister, avant qu’il ne soit trop tard, avant que Youtube ne crée des sites thématiques et garde la main sur l’ensemble de la vidéo contributive d’internet.

Pensons comme Steve Jobs

Le hardware (la plateforme) et le software (le contenu) fonctionnent ensemble. Un design, une proposition, une vision. Une vision claire et des investissements bien orientés. Le concept de couple cerveau/corps, hardware/software de Steve Jobs pourrait trouver un cadre idéal en s’appliquant à la vidéo sur internet. Netflix applique ce modèle. En y ajoutant la contribution et la gratuité, on crée un modèle innovant à même d’être identifier par le public. L’éditorialisation, soit l’identité véritable, est la seule valeur pérenne de toute création. Un roman, un OS, un magazine, un restaurant sont des formes éditoriales. Espérer que cette valeur apparaisse facilement est une illusion. Il faut l’inventer, la structurer, la soutenir, sur les plans créatif et financier, afin de faire émergée une valeur de marque pérenne et rentable.

Youtube est un instrument magique qui mélange le monde. Cette infinité de vidéos est la valeur de Youtube. C’est un positionnement qui laisse une place immense pour des identités fortes et différentes, surtout si l’on bénéficie déjà d’une notoriété mondiale et d’une infrastructure puissante, tel Dailymotion.